Nous voilà, après 6 semaines de confinement, face à encore, à minima, trois semaines à vivre de peu de sorties et une longue période ensuite de gestes barrières. Durant les premiers jours du confinement, j’ai proposé une dizaine de points à prendre en compte pour mieux vivre cette période, issus de mes propres expériences passées et des études menées depuis 2005 sur les situations de crise. Les voici raccourcis et réunis en un seul article. Quelques points à prendre en compte pour mieux vivre ces périodes incertaines. Et essayer au mieux de s’en servir…

       I.           La Découverte :

D’abord il y a eu la nouveauté. Qu’elle soit volontaire ou non, une nouvelle situation intéresse notre cerveau : nous sommes en observation, en vigilance, notre esprit est grandement occupé à comprendre et organiser ces nouvelles informations. Cela peut créer de fortes peurs et désarrois mais, le plus souvent, nous vivons plutôt une forme de plaisir, d’envie. Car cette nouveauté « fait du bien » au cerveau qui se nourrit toujours de ce qu’il ne connait pas préalablement. Quoi qu’il arrive, il faut essayer de conserver cet état le plus longtemps possible, car cela nourrit nos neurones et notre appétence à la créativité. Et il faut le reprovoquer en créant volontairement des situations de nouveautés, y compris enfermé chez soit

       II.           Se fixer un cap :

Après la nouveauté -dont les effets positifs peuvent passer très vite- la suite peut devenir beaucoup moins désirable, avec une entrée en dépression, de la violence pour soi ou autrui. Il faut donc lutter au plus tôt contre cette perte de sens et d’envie qui s’installe plus particulièrement après 10 jours de confinement. Il ne faut pas se laisser faire ! Il faut se fixer des premiers caps, des objectifs très claires et identifiables. Organiser ses journées entre travail, plaisir, soin personnel, pour les autres. Créer cette rigueur qui permet de se concentrer sur d’autres éléments plus importants.

      III.           Changer de niveau :

Je distingue 5 types de confinement :

  1. Volontaire avec durée déterminée. (Ex : le cas dans l’espace ou dans les bases antarctiques).
  2. Volontaire sans durée déterminée. (Ex : certaines courses à la voile).
  3. Involontaire avec durée déterminée. (Ex : peine de prison lorsqu’elles sont cadrées).
  4. Involontaire sans durée déterminée. (Ex : prison dans certains pays, ou les cas de crises sanitaires).
  5. Involontaire sans durée déterminée avec manque ou coercition. (Ex : les prises d’otages…).

Un confinement, c’est toujours une zone grise : on a beau avoir imaginé bien des choses, la réalité n’est jamais la même. C’est, l’incertitude qui est le plus délétère pour le cerveau car il y a un manque de projection. Il faut donc s’efforcer de « changer de niveau ». Sans date de fin, nous pouvons fonctionner par objectifs : s’en fixer plusieurs, dont chacun est déterminé en durée et en heure de démarrage. Et ainsi avancer d’objectif en objectif. Le temps se transforme ainsi d’un intemporel cognitivement incompréhensible à une succession de fonctions déterminées, cadrées temporellement, qui permettent une focalisation mentale salutaire. C’est le changement de niveau…

       IV.           La Solidarité :

La solidarité, ce n’est pas seulement aider les autres ou collaborer à un projet commun. C’est la capacité, la volonté, de regarder un problème dans son ensemble, en considérant toutes les implications de nos actions. C’est n’est plus tenir compte d’un prisme unique, mais réaliser les liens tissés qui entremêlent la toile de nos actes. Que mon besoin ne soit plus l’unique base de décision au profit du besoin commun. Ce qui explique que la solidarité demande plus d’effort, plus de questions, plus de changement que de collaborer. Car il faut se forcer à questionner « qui est-ce que ou qu’est-ce que j’impacte en faisant cela ? ». En tant de crise, être solidaire est le seul moyen de comprendre l’action commune, qui va au-delà de la personne. Sans cela, les crises se dépassent aussi bien entendu. Mais avec beaucoup, beaucoup plus de casse et de détresse qu’en acceptant, durant le temps de crise, une solidarité bien plus importante qu’en temps normal.

      V.           Le pouvoir de la projection :

Il faut être capable d’imaginer une vie après cette crise. La réalité sera peut-être très différente. L’un de mes pires confinements a été pourtant le plus court. C’était dans la soute d’un bus, en voyageant avec des migrants, pour se cacher durant une partie de traversée au Mexique. Le noir haché de rayons lumineux ; l’odeur d’essence, de poussière et de vomi ; le mouvement. C’était violent ! Au bout d’une demi-heure, j’aurais tout donné pour être ailleurs. L’un des migrants, à qui je demandais comment il allait, m’a répondu « Bien. Je suis déjà aux USA ». Durant ses mois de voyages, il avait tout enduré, sans ciller pour ce rêve. Un but qui se transforme en puissant imaginaire, apte à nous projeter au-delà de la situation présente. Ce pouvoir de projection vers l’après est peut-être la plus grande force qui soit dans ce genre de situation. Plus vous le mettrez en œuvre, le développerez, plus vous serez armé face à n’importe quelle situation…

    VI.           Activité physique et mentale :

Il est important de maintenir une activité physique. Dans la vie quotidienne, nous passons du temps debout et en mouvement. La restriction des déplacements réduit cette activité qui est nécessaire en terme musculaire, pulmonaire et cardiaque mais aussi, beaucoup, pour irriguer notre cerveau et lui permettre de fonctionner correctement. Il faut donc la compenser pour rester apte et garder une organisation et le moral. Pratiquez chaque jour ou au moins 3-4 fois par semaine, des exercices faisant monter votre rythme cardiaque (Hiit) et d’autres favorisant la circulation sanguine et gazeuse (yoga…). Si vous sentez votre cœur s’emballer, arrêtez-vous, laissez le se calmer et recommencez plus doucement. Les sportifs, faites des exercices assimilés au CrossFit, en travail poids de corps. Quant à sortir dans la mesure où cela est possible et autorisé, cela reste important, tant mentalement que physiquement.

Enfin, n’oubliez pas de boire : on oublie souvent en confinement. Mais sans boire, pas de « nettoyage » de notre cerveau… Et le drame est alors proche !

      VII.           Vous avez le droit…

Les moments de crises longues, sans visibilité, mettent nos émotions et sentiments, à rudes épreuves. Chacun.e gère à sa manière selon ses capacités. Nous voulons être suffisamment forts, vivre ces moments la tête haute, sans marquer de faiblesse. Cela ne signifie en rien que la peur, la détresse, la douleur, n’existent pas. Elles font aussi partie de nous, de ces montagnes russes émotionnelles que savent nous faire vivre les périodes de crise. Dans mes expéditions, j’ai vécu de tels moments sombres où l’on donnerait tout pour que cela s’arrête. Où l’on se maudit d’être là, même si l’on n’y peut rien. Où l’on se noie dans ses propres flots. Si ce confinement perdure, cela peut aussi nous arriver à tous.te. Il n’y a ni honte ni rejet à avoir. Vous avez en le droit. Cet espace que nous accordons à nos peines est aussi la solution de les combattre. De leur donner suffisamment de considération pour les comprendre, les accepter. Et les surmonter pour poursuivre notre chemin.

      VIII.           Protéger son cerveau :

Les nombreux changements subits en un temps très court, les apprentissages à vitesse accélérée, les nouvelles conditions de vie, ont énormément sollicité nos cerveaux. Dans ces cas, de nombreuses connexions se créent, se développent et s’organisent. La part énergétique demandée par le cerveau dans ces cas-là est énorme, plus de 50% de notre consommation totale. C’est foisonnant mais cela fatigue énormément et la pression cognitive devient épuisante. Nous ne parvenons plus à faire la part des choses ni à inhiber nos biais cognitifs. Les incompréhensions, énervements, intolérances, grandissent, c’est l’abattement qui s’empare de nous, et peut causer d’importants traumas. Le cerveau doit se reposer ; en dormant, en s’hydratant, mais aussi en lui donnant des moments de distractions. Croire que l’on pourra faire autant que d’habitude est une grosse erreur. Il faut accepter de faire moins, et se donner du temps de respiration cognitive. Un équilibre indispensable pour tenir le coup sur la durée! Sachez vous reposez et trouver de vrais moments de plaisir.

       IX.           Préserver ses moments « Stars » :

Nous ne sommes pas égaux face au confinement. Ce type de situation fait appel à des milliers de petites ou grandes choses, émotions, souvenirs, envies, besoins, qui nous font tous réagir différemment. Avec la fatigue, les doutes, tout s’exacerbe. Il est donc important de se focaliser sur « les moments stars », des rituels qui nous font du bien. Des moments qui nous identifient, que l’on convoque lorsqu’on en a le plus besoin. Ce peut être en se maquillant ou rasant, où l’on sort quelques minutes, en mangeant un aliment particulier… Lorsque le doute s’installe, c’est vers eux que nous devons concentrer nos attentions et les préserver. Lorsque j’ai été otage, dans la chaleur humide où je me trouvais, un vent se levait chaque soir. Il glissait entre les planches un petit courant d’air qui rafraichissait mes joues. J’avais l’impression de voler. Cet instant-là, vers lequel je projetais mes attentes et mes espoirs, m’a permis de toujours trouver un sens à mes journées.

      X.           Le futur sera différent :

Pour espérer dépasser sans trop de traumas personnels une crise comme celle que nous vivons, il faut s’enlever une idée de la tête : il est impossible de retrouver ce que nous avions avant, à l’identique. Parce que les circonstances, notre entourage, nous-mêmes et le monde, avons changé. Cela ne veut pas dire que “l’après” sera moins bien, mais qu’il sera assurément différent. […] Il n’est aucune crise qui permette de retrouver exactement le même monde. Si c’est ce que nous attendons, si c’est ce que nous cherchons, l’espoir déçu sera peut-être plus délétère que la crise en soit. Cela sera sans doute très vrai à la sortie de la crise du Covid19. Alors si vous avez un peu de temps de cerveau disponible, n’attendez pas. Commencer à projeter ce nouveau futur qui sera le vôtre. Et quitte à ce qu’il change… pourquoi ne pas essayer de le rendre meilleur ? Il est beaucoup à faire en matière environnementale, sociale, pour que nous ayons, toutes et tous, une action à mener pour que le demain différent soit meilleur que l’hier auquel nous nous accrochions… Bon voyage à vous !

Vous retrouvez ces notions et bien d’autres dans le livre « Explorer demain », C. Clot, Robert Laffont, 2019.